Hommage à Jacky Beillerot
J’ai fait la connaissance de Jacky Beillerot à l’occasion d’un problème d’édition. Il s’agissait de publier une thèse d’histoire sur un sujet peu commercial : la formation professionnelle, et qui plus est, dans le secteur du bâtiment et des travaux publics ; deux raisons de faire fuir les éditeurs. J. Beillerot a bien voulu se charger de faire prendre en charge ce problème par L’Harmattan, puis de m’inviter aux séances du GEHFA, association qu’il avait créée avec quelques pionniers. Nous avons ensuite collaboré sur des dossiers difficiles, dont celui du recueil des archives des personnalités et des organismes impliqués dans la formation des adultes, pour lequel des éléments de solution étaient enfin apparus lorsque la mort est venue le saisir. C’était un homme de conviction et de volonté, passionné pour les projets nombreux qu’il avait lancés, en même temps qu’un homme de bien.
Pierre Benoist
Je me souviens d’abord de ses silences.
Ces dernières années, nous nous sommes à plusieurs reprises rencontrés dans ces irrésistibles colloques universitaires si bien décrits par David Lodge. A Biarritz, par exemple, où je lui demandai « mais qui se souvient de Joseph Jacotot ? », il me répondit : « moi » et nous regardâmes la mer sans qu’il ne dise rien de plus. C’est qu’il avait horreur des bavardages, et aimait la rigueur et l’efficacité.
Mais je me souviens aussi de ses paroles qui ne semblaient jamais improvisées. Des phrases justes, lucides souvent frappées d’un humour discret. C’est qu’il n’aimait pas la langue de bois, notamment celle des sciences de l’éducation.
Il savait ce que doit être le rôle modeste du formateur. Il l’a écrit : « savoirs et savoir-faire deviennent les matériaux qui permettent à chacun d’être le seul créateur de sa propre existence : faire son œuvre, c’est faire sa vie ».
Richard Lick
Il me donna rendez-vous la première fois dans un café de la Porte d’Orléans. Nous parlâmes de beaucoup de sujets qui n’avaient rien à voir avec le but de la rencontre, de connaissances communes, de surréalisme, de Paris, de jeunes romanciers (plus tard nous nous offrîmes des livres). Je le fis même rire avec quelques bons mots psychanalytiques. Nous fîmes donc connaissance. Je fus très heureux quand au moment de nous séparer il m’annonça qu’il acceptait de parrainer mon HDR, Lectures de la formation.
Yves Palazzeschi
Ma rencontre avec Jacky s’est faite à l’occasion d’un retour sur l’histoire pour éclairer des décisions politiques. En effet, en 1992 je participais en tant que secrétaire général du CCCA-BTP aux réunions d’un groupe de travail initié par le Ministère de l’emploi et présidé par Jacky que je n’avais jamais rencontré auparavant. Le thème de la réflexion était « Fonctions et limites de la question paritaire dans la formation continue : historique et état des lieux ». L’objectif du ministère était de limiter ce qu’il appelait les dérives du paritarisme. Jacky était un président qui conciliait la rigueur et la disponibilité intellectuelle, tout en restant indépendant des orientations du Cabinet. Nous avons eu envie, tous les deux, de travailler ensemble sur d’autres chantiers, la Biennale en étant un. Et ainsi se construisit notre amitié.
Bernard Pasquier
Je vous avais déjà choisi comme directeur de thèse. Quelques accroches, quelques résonances dans nos rapports au Savoir respectifs rendaient la chose inévitable : à quoi bon faire une thèse si ce n’était avec vous ? J’avais deux sujets en tête. Vous m’en avez suggéré un troisième. Un jour, avez-vous dit, il faudra que quelqu’un travaille sur l’histoire de l’Institut national pour la formation des adultes, « parce que c’est important ». Les premiers entretiens exploratoires ont tous convergé dans le même sens : il n’y a rien d’intéressant à chercher de ce côté-là. Cela m’a donné envie d’en savoir plus, avec vos encouragements. Nous y avons beaucoup appris, tous les deux je crois. Plus tard, fin 1996, vous avez soutenu l’idée de réunir un groupe pour échanger sur l’histoire de la formation des adultes. Avec des amis à vous, tous plus âgés et plus masculins que moi, je me suis portée volontaire, vous m’avez accueillie. Nous avons alors partagé de drôles de moments, bien des interrogations et bien des doutes ; dans notre dernier échange, vous aviez listé les projets du gehfa à mener à terme, nos forces vous souciaient : « nous sommes en train de décoller, mais nous manquons de kérosène » m’aviez-vous écrit. Cette phrase m’avait fait rire. Et puis le lendemain, vous êtes parti.
Françoise F. Laot
Rencontre. Début 96, avec Jacques Bourquin, porteurs d’un modeste projet d’histoire de la formation au Centre de Vaucresson, nous rencontrons Jacky Beillerot. Immédiatement, le projet change de dimension, c’est sur « l’histoire des institutions pionnières en formation des adultes » que nous allons travailler. Ce sera d’abord le séminaire. Inlassable animateur, exigeant, jamais satisfait de l’état des choses, sans cesse de nouveaux projets en tête, il pousse et bouscule, à l’écoute pourtant et retenant de chacun. Un pédagogue.
Vincent Peyre
C’est au tout début des années 1970 que j’ai rencontré J. Beillerot ; il était alors jeune assistant au département des Sciences de l’Education de Nanterre ; Gilles Ferry nous l’avait recommandé, pour intervenir comme enseignant vacataire dans la formation des superviseurs en travail social, que nous mettions en place pour la première fois.
Notre collaboration n’a pas cessé depuis ; avec tous ses collègues de Paris X, il a permis que l’ ETSUP construise une fructueuse collaboration permettant à de très nombreux étudiants de formation initiale et supérieure de préparer conjointement les diplômes professionnels de travail social et des licences et maîtrises en sciences de l’éducation; de nombreux travailleurs sociaux ont ainsi pu accéder aux formations de troisième cycle et à la recherche.
C’est également grâce à son appui que, dans les années 198O, avec l’ensemble des centres de formation supérieure, nous avons commencé à poser quelques questions fondamentales sur les problèmes de la recherche professionnelle dans ce secteur. Une question plus que jamais d’actualité. C’est dire que Jacky Beillerot a joué un rôle majeur dans le développement de l’ETSUP ; je lui en garde une très grande reconnaissance; il était aussi devenu un ami dont j’ai pu apprécier, comme beaucoup d’entre nous, les grandes qualités humaines et intellectuelles. Il est parti beaucoup trop tôt.
J’associe tous ses collègues du département des Sciences de l’Education à ce témoignage de reconnaissance et veux leur dire que je partage leur émotion ».
Eliane Leplay
Je fus l’étudiant de Jacky Beillerot alors que je faisais Psycho et Sciences de l’Education à Paris X, au cours des années 1970. Devenu chargé de cours grâce à Gilles Ferry et Jacques Pain, j’ai participé aux travaux du groupe des enseignants de Sciences de l’Education où j’ai mieux connu Jacky et apprécié la richesse de sa personnalité.
Formateur à l’Education Surveillée, je l’ai par la suite rencontré souvent à Vaucresson où il intervenait autant comme enseignant que comme référent.
Au début des années 1990, alors qu’avec Vincent Peyre, Pierre Segond et quelques autres nous venions de créer une association pour l’histoire de l’Education Surveillée, c’est à Jacky Beillerot que nous avons fait appel pour nous guider dans le travail sur l’histoire de la formation à l’Education Surveillée et plus particulièrement à Vaucresson ; très vite, il nous laisse entendre que notre nombrilisme autour de Vaucresson ne serait guère productif, il nous propose d’élargir ce champ de travail à l’histoire de la formation des adultes . C’était la genèse du GEHFA dont il fut le créateur et le maître d’œuvre à partir d’un séminaire qui prit naissance en 1997.
Jacques Bourquin
Je ne me souviens plus quand pour la première fois j’ai rencontré Jacky ? C’était peut-être dans les universités ? ou bien dans une biennale ? ou encore dans un séminaire ? Tout ce que je sais c’est que c’était l’époque du vouvoiement. Le tutoiement est arrivé plus tard. Le tutoiement paysan celui qui parle de la même terre et du chemin qui nous a amené à nous rencontrer.
Etrangement il y a peu de temps, par une erreur d’édition tu avais disparu d’une bibliographie. Immédiatement je t’avais téléphoné pour des excuses. Tu m’avais répondu : ce n’est pas important, c’est comme les médailles, elles n’orneront pas ma tombe !
Cher Jacky, dans le cas où Dieu existe, peux-tu lui demander la clef de ses archives ? Merci à toi.
Jean-Marc Huguet
“ Je crois à l’efficacité de la réflexion, parce que je crois que la grandeur de l’homme est dans la dialectique du travail et de la parole ”. Cette phrase de Paul Ricoeur [1] aurait pu être une citation de Jacky Beillerot. Il nous laisse, avec l’amitié, le souvenir de sa double volonté de dialoguer sur le travail, et de travailler le dialogue. Son plus récent chantier théorique, déjà bien ouvert, portait sur la notion de débat. Rien d’étonnant à cela ; le débat ne devrait-il pas être, par excellence, le lieu d’articulation de la parole et de l’action ?
Philippe Carré
[1] Ricoeur, P. Histoire et vérité , Préface, Le Seuil.
J’ai rencontré Jacky pour la première fois au milieu des années 80 dans un groupe de travail de la délégation à la formation professionnelle et je rencontrais enfin un « sciences de l’éducation » qui s’intéressait à l’éducation des adultes.
Cette constante attention devait se manifester dès la première biennale, par la collection à l’Harmattan, par son action dans l’association des enseignants- chercheurs en sciences de l’éducation et à ce propos le colloque de janvier 1998 organisé à Nancy par Françoise Crézé fut un moment important. Et puis il y eut ses encadrements de recherche et le GEHFA. Il était persuadé que c’est par histoire de l’éducation des adultes que la passerelle pouvait se construire.
Vingt ans de rencontres et de connivence : l’enfance villageoise, la guerre et l’occupation, la laïque, les charentes, St Moisant et Grignan, la guerre d’Algérie, l’U.N.E.F…. et nos interminables histoires sur hier et demain. « Tu es un raconteur d’histoires Noël ». A poursuivre. C’était un mail de lui en avril ou mai après un long repas d’histoires. On poursuit Jacky et il y aura toujours une petite dernière à qui raconter « le vieux loup de Grignan ».
Noël Terrot
J’ai rencontré Jacky Beillerot à l’issue d’un DEA de sociologie qui n’avait satisfait ni mon jury, ni moi-même. Il acceptait d’assurer la direction de ma thèse, mais il me demandait d’ancrer ma réflexion dans celles qui ’avaient précédée, en lisant et en multipliant les notes de lecture. J’ai suivi son conseil et lors de nos rencontres, qui avaient parfois lieu dans sa grande bibliothèque, nous parlions de ce que j’avais lu, de ce qu’il fallait lire encore, d’articles du « Monde », de la revue « Esprit »… Sa curiosité était sans bornes, parfois inquiète, toujours généreuse et ouverte sur le monde. Je le retrouvais à Nanterre, dans les réunions qu’il animait de sa présence attentive. Il a marqué de son empreinte le climat chaleureux que j’ai toujours ressenti dans le département des Sciences de l’Education.
J’ai perdu un maître et un ami. Je garde le souvenir d’un homme qui aspirait à la justice, qui aimait avec tendresse et qui marchait humblement sur le chemin où l’appelait sa vocation d’enseignant et de chercheur.
Jacques Denantes
La leçon inaugurale qu’a donnée Jacky Beillerot le 25 janvier 2001 est immortalisée sur deux cassettes. Cet enregistrement permet d’entendre ce que Jacky Beillerot a représenté pour chacune et chacun : collègues, étudiants et amis. Autant de reconnaissance qui donne envie de poursuivre ce qu’il a insufflé avec ce regard toujours tourné vers l’avenir et agir pour le plus grand nombre. Ouvrir son regard et son coeur et se laisser saisir par la découverte d’avoir été ignorant et de rechercher encore.
J’ai toujours apprécié sa façon de travailler faite de rigueur et d’échanges, à vouloir mettre autour de la table le plus grand nombre des acteurs concernés par un projet mûrement réfléchi. C’était il y a une dizaine d’années, alors que je travaillais au secrétariat de 3ème cycle de psychologie et sciences de l’éducation. Il m’a toujours mis sur le chemin de la formation alors que moi-même j’ai été façonnée par le plaisir d’apprendre sur les bancs de la formation pour adultes, en cours du soir.
Les témoignages réunis dans ces cassettes montrent une volonté de poursuivre les oeuvres de Jacky Beillerot et traduisent combien le fait d’avoir cheminé avec lui a modifié la façon de regarder, d’agir et de vivre en collectif de beaucoup.
Elisabeth Brunet
Liliane Guignard et l’équipe de formateurs
Je suis une anonyme, étudiante en reprise d’études à un âge où d’aucuns préparent leur retraite. J’ai eu le privilège de croiser le chemin de Jacky Beillerot lors d’un stage de formation « Intervenir en formation » au SIPCA. Cette rencontre a changé ma vie puisqu’elle m’a convaincue que je pouvais entrer à l’université et préparer une licence en sciences de l’éducation à Paris X. L’hommage que cette université lui a rendu aujourd’hui et que j’ai vécu avec beaucoup d’émotion m’incite à écrire ce modeste témoignage. Jacky Beillerot avait une qualité peu commune, celle de porter un regard sur vous de nature à faire émerger le meilleur de vous-même. Il vous transmettait cette confiance qui fait bouger les montagnes. Au-delà des mots il vous assurait que vous étiez capable de plus, de mieux. C’est un don d’une générosité immense que j’ai reçu avec une infinie reconnaissance. Je ne l’oublierai pas.
Danielle Brousquet, étudiante en maîtrise des sciences de l’Education